Fernand Lechanteur

LECHANTEURFernand Lechanteur est né le 20 juin 1910 à Agon. Il est le dixième et dernier enfant d’une famille qui réside, côté maternel, dans ce village depuis plusieurs générations. Son père Léon a 48 ans à sa naissance, il est jardinier à la journée. Sa mère, Maria Fauny, en a 47 et est couturière. C’est un redot, son frère aîné Albert, a déjà 26 ans et sa plus jeune sœur, Louise, 7 ans. Autant dire que, malgré la pauvreté de la famille et les années difficiles qui ont laissé des traces dans les mémoires, cet enfant a été aimé et gâté par tous.

Il fréquente l’école communale jusqu’au certificat d’études, auquel il est reçu premier du canton. Malgré leurs capacités, ses frères et sœurs ont arrêté à ce niveau leur scolarité pour partir apprendre un métier, mais pour lui le maître d’école insiste : il pense qu’il peut devenir instituteur comme lui. Fernand passe le concours des bourses et part pensionnaire à Saint-Lô, en première supérieure. Il y est très malheureux, le régime est sévère et il en gardait un très mauvais souvenir. Il n’y reste qu’une année et est réorienté vers le lycée de Coutances qu’il intègre en 5ème. Il y fera toutes ses études jusqu’au bac qu’il passe en 1929. Bien sûr, chaque vacance scolaire il retrouve sa famille et son village. Pour entreprendre ses études supérieures il doit travailler et demande un poste de maître d’internat.

Il est envoyé dans le Nord, à Valenciennes puis Hazebrouck, et fait sa licence d’allemand à l’université de Lille. Il part six mois à Cologne, d’octobre 1932 à avril 1933, puis rejoint le Nord. Il fait son service militaire à Vernon d’avril 34 à mars 1935 puis de nouveau dans le Nord, il se marie en juillet 1935 et est nommé professeur à Pontivy en 1936. Il y reste jusqu’en 1939.

Pendant la guerre, Fernand est resté à Agon, prisonnier sur parole, comme interprète près du maire. En 1944 il s’est engagé dans l’armée anglaise, toujours comme interprète, contre l’armée allemande, dans la campagne du nord de l’Europe. Il n’en est revenu qu’en juillet 1945 sans revoir sa mère qui est morte en avril (son père était décédé en 1935). Ensuite jamais plus il ne s’est trop éloigné d’Agon, il a été professeur à Coutances puis censeur à Cherbourg et proviseur à Saint-Lô et Caen où il termine sa carrière, ayant à plusieurs reprises refusé des postes plus prestigieux à Paris.

Parmi les personnes qui ont marqué l’existence de Fernand Lechanteur il y a sans conteste, en tout premier lieu, Charles Guerlin de Guer. Celui-ci était né à Caen le 26 juin 1871. Professeur au Lycée Malherbe quelques soixante-dix ans avant que Fernand Lechanteur n’en prenne la direction, il est l’auteur, entre autres travaux, d’une étude sur le parler de Thaon (Calvados) et surtout d’un « Essai de dialectologie normande » – étude portant sur 300 communes du Calvados – publié à Paris en 1899. Cette même année il fut également le premier à ouvrir un cours de dialectologie normande à la Faculté des lettres de Caen. Malheureusement, à la suite d’un incident avec le recteur de l’époque (pourtant normand) ce cours prit fin brusquement.

À l’Université de Lille, trente ans plus tard, Fernand Lechanteur fut son élève pour l’ancien français. « Il fut bien aise de trouver un compatriote parmi ses étudiants. […] J’avais autre chose à faire que de la dialectologie mais il encouragea mon goût et vingt ans après il m’adressa avec une lettre mélancolique sa précieuse collection des Bulletins et ses cahiers d’enquête ainsi que quelques autres papiers… »

Mais l’élève, en 1970, ne pouvait s’empêcher d’ajouter : « Il m’avait recommandé de ‘ramasser les tronçons du glaive’. C’est ce que j’ai tenté de faire de mon mieux, en gardant envers mon vieux maître un sentiment de respect et de reconnaissance. »

En son temps, Guerlin de Guer fut un précurseur qui ouvrit de nouvelles perspectives à l’étude des parlers régionaux. Il fut « le premier à faire en Normandie de la dialectologie selon la méthode de Gilliéron ».

Ceux qui ont fréquenté dans les années 1960 le cours de dialectologie normande à la Faculté des Lettres de Caen, que Fernand Lechanteur avait ouvert, ou plutôt rouvert, dans les pas de son vieux maître, ne pourront pas ne pas avoir entendu parler de Gilliéron ni de Guerlin de Guer, encore moins de Joret.

Gilliéron c’est ce Suisse, contemporain des deux autres, qui a fondé à l’École Pratique des Hautes études de Paris la dialectologie scientifique et qui, grâce à son enquêteur Edmont, a dressé le premier Atlas Linguistique de France.

Quant à Joret, né à Formigny dans le Bessin en 1829 et auteur d’un « Essai sur le patois normand du Bessin », il démontre dans son ouvrage « Des caractères et de l’extension du patois normand » (1883) l’existence de la frontière linguistique qui distingue les parlers du nord de la Normandie de ceux du sud.

Linguiste renommé, Fernand Lechanteur a fondé sa méthode sur les nouvelles sciences du langage et l’héritage familial de son parler lié à la connaissance des choses et des gens. Il se range aussi aux côtés de ceux qui militent en faveur des langues régionales au travers de diverses manifestations et publications. Conférencier de talent il a su séduire au cours de ses communications un public souvent nombreux. Il ira même, fait assez rare pour être souligné, jusqu’à utiliser lui-même son parler agonais en littérature dans quelques poèmes d’une indéniable beauté, sous le pseudonyme de Gires Ganne. Il est également à l’origine d’une orthographe normalisée, un système pouvant s’adapter aux variations que présentent les parlers qui couvrent la Normandie.

Il décède prématurément le 7 mai 1971 sans avoir pu réaliser les nombreux projets qui devaient meubler sa retraite paisible.